Jean de Lafontaine | Ma Homepage
Certains tableaux sont couverts par des rideaux. | On m'engage à conter d'une manière honnête Le sujet d'un de ces tableaux Sur lesquels ont met des rideaux. Il me faut tirer de ma tête Nombre de traits nouveaux, piquants et délicats Qui disent et ne disent pas, Et qui soient entendus sans notes Des Agnès même les plus sottes; Ce n'est pas coucher gros ; ces extrêmes Agnès Sont oiseaux qu'on ne vit jamais. Toute matrone sage, à ce que dit Catulle Regarde volontiers le gigantesque don Fait au fruit de Venus par la main de Junon A ce plaisant objet si quelqu'une recule Cette quelqu'une dissimule. Ce principe posé, pourquoi plus de scrupule Pourquoi moins de licence aux oreilles quaux yeux > Puisqu'on le veut ainsi, je ferai de mon mieux: Nuls traits à découvert n'auront ici de place Tout y sera voile; mais de gaze; et si bien Que je crois qu'on n'en perdra rien. Qui pense finement, et s'exprime avec grâce, Fait tout passer; car tout passe: Je l'ai cent fois éprouvé: Quand le mot est bien trouvé, Le sexe en sa faveur à la chose pardonne: Ce n'est plus elle alors, cest elle encor pourtant: Vous ne faites rougir personne, Et tout le monde vous entend. J'ai besoin aujourd'hui de cet art important. Pourquoi, me dira-t-on, puisque sur ces merveilles, Le sexe porte l'oeil sans toutes ces façons ? Je réponds à cela: chastes sont ses oreilles Encor que les yeux soient fripons. Je veux, quoi quil en soit, expliquer à des belles Cette chaise rompue, et ce rustre tombé: Muses venez m'aider; mais vous êtes pucelles, Au joli jeu d'amour ne sachant A ni B. Muses ne bougez donc; seulement par bonté Dites au dieu des vers que dans mon entreprise Il est bon qu'il me favorise, Et de mes mots fasse le choix, Ou je dirai quelque sottise Qui me fera donner du busque sur les doigts. Cest assez raisonner; venons à la peinture. Elle contient une aventure Arrivée au pays d'Amours. Jadis la ville de Cythère Avait en l'un de ses faubourgs Un monastère. Venus en fit un séminaire. Il était de nonnains, et je puis dire ainsi Qu'il était de galants aussi. En ce lieu hantaient d'ordinaire Gens de cour, gens de ville, et sacrificateurs, Et docteurs, Et bacheliers surtout. Un de ce dernier ordre Passait dans lz maison pour être des amis, Propre, toujours rasé, bien disant, et beau fils Son chapeau luisant, sur son rabat bien mis La médisance n'eût su mordre. Ce qu'il avait de plus charmant, Cest que deux des nonnains alternativement En tiraient maint et maint service. Lune navait quitté les atours de novice Que depuis quelque mois; l autre encor les portait: La moins jeune à peine comptait Un an entier par-dessus seize; Age propre à soutenir thèse; Thèse d'amour; le bachelier Leur avait rendu familier Chaque point de cette science Et le tout par expérience. Une assignation pleine dimpatience Fut un jour par les soeurs donnée à cet amant; Et pour rendre complet le divertissement, Bacchus avec Cérès, de qui la compagnie Met Venus en train bien souvent , Devaient être ce coup de la cérémonie. Propreté toucha seule aux apprêts du régal. Elle sut s'en tirer avec beaucoup de grâce. Tout passa par ses mains, et le vin, et la glace, Et les carafes de cristal. On s'y seroit mire. Flore à l'haleine d'ambre Sema de fleurs toute la chambre. Elle en fit un jardin. Sur le linge ces fleurs Formaient des lacs d'amour, et le chiffre des soeurs. Leurs cloîtrières Excellences Aimaient fort ces magnificences: C'est un plaisir de nonne. Au reste leur beauté Aiguisait lappétit aussi de son côté. Mille secrètes circonstances De leurs corps polis et charmants Augmentaient l'ardeur des amants. Leur taille était presque semblable. Blancheur, délicatesse, embonpoint raisonnable, Fermeté, tout charmait, tout était fait au tour. En mille endroits nichait l'amour, Sous une guimpe, un voile, et sous un scapulaire Sous ceci, sous cela que voit peu loeil du jour Si celui du galant ne l'appelle au mystère. A ces soeurs l'enfant de Cythère Mille fois le jour sen venait Les bras ouverts, et les prenait L'une après l'autre pour sa mère. Tel ce couple attendait le bachelier trop lent; Et de lui tout en l'attendant Elles disaient du mal, puis du bien, puis les belles Imputaient son retardement A quelques amitiés nouvelles. Qui peut le retenir, disait l'une, est-ce amour ? Est-ce affaire? est-ce maladie? Qu'il y revienne de sa vie, Disait l'autre il aura son tour. Tandis qu'elles cherchaient là-dessous du mystère, Passe un Mazet portant à la dépositaire Certain fardeau peu nécessaire. Ce n'était qu'un prétexte, et selon qu'on m'a dit Cette dépositaire ayant grand appetit Faisait sa portion des talents de ce rustre Tenu dans tels repas pour un traiteur illustre. Le coquin lourd d'ailleurs, et de très court esprit A la cellule se méprit. Il alla chez les attendantes Frapper avec ses mains pesantes. On ouvre, on est surpris, on le maudit d'abord, Puis on voit que c'est un trésor. Les nonnains séclatent de rire. Toutes deux commencent à dire, Comme si toutes deux s'étaient donné le mot: Servons-nous de ce maître sot. II vaut bien lautre ; que ten semble ? La professe ajouta : Cest très bien avisé Quattendions-nous ici ? quil nous fût débité De beaux discours? non non; ni rien qui leur ressemble. Ce pitaud doit valoir pour le point souhaité Bachelier et docteur ensemble. Elle en jugeait très bien; la taille du garçon, Sa simplicité, sa façon, Et le peu dintérêt qu'en tout il semblait prendre, Faisaient de lui beaucoup attendre. C'était l'homme d'Esope; il ne songeait à rien Mais il buvait et mangeait bien; Et si Xantus l'eût laissé faire, Il aurait poussé loin l'affaire. Ainsi bientôt apprivoisé, Il se trouva tout disposé Pour exécuter sans remise Les ordres des nonnains, les servant à leur guise Dans son office de mazet Dont il lui fut donne par les soeurs un brevet. Ici la peinture commence: Nous voilà parvenus au point; Dieu des vers, ne me quitte point; J'ai recours à ton assistance. Dis-moi pourquoi ce rustre assis, Sans peine de sa part, et très fort à son aise Laisse le soin de tout aux amoureux soucis De soeur Claude, et de soeur Thérèse. N'aurait-il pas mieux fait de leur donner la chaise ? Il me semble déjà que je vois Apollon Qui me dit: Tout beau; ces matières A fond ne s'examinent guères. J'entends; et l'Amour est un étrange garçon. J'ai tort dériger un fripon En maître des cérémonies. Dès qu'il entre en une maison, Règles et lois en sont bannies: Sa fantaisie est sa raison. Le voilà qui rompt tout; c'est assez sa coutume. Ses yeux sont violents. A terre on vit bientôt Le galant cathédral; ou soit par le défaut De la chaise un peu faible; ou soit que du pitaud Le corps ne fût pas fait de plume ; Ousoit que soeur Thérèse eût chargé d'action Un discours véhément, et plein démotion ; On entendit craquer lamoureuse tribune.. Le rustre tombe à terre en cette occasion. Ce premier point eut par fortune Malheureuse conclusion. Censeurs, napprochez point d'ici votre oeil profane. Vous gens de bien, voyez comme soeur Claude mit Un tel incident à profit. Thérèse en ce malheur perdit la tramontane. Claude la débusqua, semparant du timon. Thérèse pire qu'un démon Tâche à la retirer, et se remettre au trône; Mais celle-ci n'est pas personne A céder un poste si doux. Soeur Claude prenez garde à vous; Thérèse en veut venir aux coups; Elle a le poing levé. Qu'elle ait. C'est bien répondre; Quiconque est occupé comme vous, ne sent rien. Je ne métonne pas que vous sachiez confondre Un petit mal dans un grand bien. Malgré la colère marquée Sur le front de la débusquée Claude suit son chemin, le rustre aussi le sien; Thérèse est mal contente et gronde. Les plaisirs de Vénus sont sources de débats. Leur fureur n'a point de seconde. J'en prends à témoin les combats Qu'on vit sur la terre et sur l'onde, Lorsque Paris à Ménélas Ota la merveille du monde. Quun pitaud faisant naître un aussi grand procès Tint ici lieu dHélène, une foi sans excès Le peut croire, et fort bien; troublez nonne en sa joie, Vous verrez la guerre de Troie. Quoique Bellone ait part ici, J'y vois peu de corps de cuirasse, Dame Vénus se couvre ainsi Quand elle entre en champ clos avec le dieu de Thrace Cette armure a beaucoup de grâce. Belles vous m'entendez: je n'en dirai pas plus: L'habit de guerre de Vénus Est plein de choses admirables ! Les Cyclopes aux membres nus Forgent peu de harnois qui lui soient comparables: Celui du preux Achille aurait été plus beau, Si Vulcan eût dessus gravé notre tableau. Or ai-je des nonnains mis en vers l'aventure, Mais non avec des traits dignes de l'action; Et comme celle-ci déchet dans la peinture, La peinture déchet dans ma description: Les mots et les couleurs ne sont choses pareilles, Ni les yeux ne sont les oreilles. J'ai laissé longtemps au filet Soeur Thérèse la détrônée. Elle eut son tour: notre mazet Partagea si bien sa journée Que chacun fut content. L'histoire finit là; Du festin pas un mot: je veux croire, et pour cause, Que l'on but et que l'on mangea: Ce fut lintermède et la pause. Enfin tout alla bizn, hormis que, bonne foi Lheure du rendez-vous membarrasse, et pourquoi? Si lamant ne vint pas, Sur Claude et sur Thérèse Eurent à tout le moins de quoi se consoler, S'il vint, on sut cacher le lourdaud et la chaise, L'amant trouva bientôt encore à qui parler. |
Contes et nouvelles en vers par Monsieur de La Fontaine A Amsterdam chez Pierre Brunel, sur le Dam à la bible d'or, 1709 |
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