Jean de Lafontaine | Ma Homepage
Le jeune Nicaise était bien innocent | Un apprenti marchand était, Qu 'avec droit Nicaise on nommait; Garçon très neuf, hors sa boutique, Et quelque peu d'arithmétique; Garçon novice dans les tours Qui se pratiquent en amours. Bons bourgeois du temps de nos pères S'avisaient tard d'être bons frères. Ils n'apprenaient cette leçon Qu'ayant de la barbe au menton. Ceux d'aujourd'hui, sans qu'on les flatte, Ont soin de s'y rendre savants Aussitôt que les autres gens. Le jouvenceau de vieille date, Possible un peu moins avancé Par les degrés n'avait passé. Quoi qu'il en soit le pauvre sire En très beau chemin demeura, Se trouvant court par celui-là C'est par l'esprit que je veux dire. Une belle pourtant l'aima: C'était la fille de son maître Fille aimable autant qu'on peut l'être, Et ne tournant autour du pot Soit par humeur franche et sincère; Soit qu'il fût force d'ainsi faire, Etant tombée aux mains d'un sot. Quelqu'un de trop de hardiesse Ira la taxer, et moi non: Tels procédés ont leur raison. Lorsque l'on aime une déesse, Elle fait ces avances-là: Notre belle savait cela. Son esprit, ses traits, sa richesse, Engageaient beaucoup de jeunesse A sa recherche: heureux serait Celui d'entre eux qui cueillerait En nom d'hymen certaine chose, Qu'a meilleur titre elle promit Au Jouvenceau ci-dessus dit. Certain dieu parfois en dispose, Amour nomme communément. Il plût à la belle d'élire Pour ce point l'apprenti marchand. Bien est vrai (car il faut tout dire) Qu'il était très bien fait de corps Beau, jeune, et frais; ce sont trésors Que ne méprise aucune dame Tant soit son esprit précieux. Pour une qu'Amour prend par l'âme Il en prend mille par les yeux. Celle-ci donc des plus galantes, Par mille choses engageantes Tâchait d'encourager le gars, N'était chiche de ses regards Le pinçait, lui venait sourire, Sur les yeux lui mettait la main Sur le pied lui marchait enfin. A ce langage il ne sut dire Autre chose que des soupirs, Interprètes de ses désirs. Tant fut, à ce que dit l'histoire, De part et d'autre soupiré, Que leur feu dûment déclaré, Les jeunes gens, comme on peut croire, Ne s'épargnèrent ni serments, Ni d'autres points bien plus charmants; Comme baisers à grosse usure; Le tout sans compte et sans mesure. Calculateur que fut l'amant, Brouiller fallait incessamment: La chose était tant infinie Qu'il y faisait toujours abus: Somme toute, il n'y manquait plus Qu'une seule cérémonie. Bon fait aux filles l'épargner. Ce ne fut pas sans témoigner Bien du regret, bien de l'envie Par vous, disait la belle amie, Je me la veux faire enseigner, Où ne la savoir de ma vie. Je la saurai, je vous promets; Tenez-vous certain désormais De m'avoir pour votre apprentie. Je ne puis pour vous que ce point. Je suis franche; n'attendez point Que par un langage ordinaire Je vous promette de me faire Religieuse, à moins qu'un jour L'hymen ne suive notre amour. Cet hymen serait bien mon compte N'en doutez point; mais le moyen ? Vous m'aimez trop pour vouloir rien Qui me pût causer de la honte Tels et tels m'ont fait demander. Mon père est prêt de m'accorder. Moi je vous permets d'espérer Qu'à qui que ce soit qu'on m'engage, Soit conseiller, soit président, Soit veille où jour de mariage Je serai vôtre auparavant, Et vous aurez mon pucelage. Le garçon la remercia Comme il put. A huit jours de là Il s'offre un parti d'importance. La belle dit à son ami: Tenons-nous-en à celui-ci; Car il est homme, que je pense, A passer la chose au gros sas ". La belle en étant sur ce cas, On la promet, on la commence Le jour des noces se tient prêt. Entendez ceci, s'il vous plaît. Je pense voir votre pensée Sur ce mot-là de commencée. C'était alors sans point d' abus Fille promise et rien de plus. Huit jours donnés à la fiancée, Comme elle appréhendait encor Quelque rupture en cet accord, Elle diffère le négoce Jusqu'au propre jour de la noce; De peur de certain accident Qui les fillettes va perdant. On mène au moutier cependant Notre galande encor pucelle. Le oui fut dit à la chandelle. L'époux voulut avec la belle S'en aller coucher au retour. Elle demande encor ce jour, Et ne l'obtient qu'avecque peine. Il fallut pourtant y passer. Comme l'aurore était prochaine, L'épouse au lieu de se coucher S'habille. On eût dit une reine, Rien ne manquait aux vêtements, Perles, joyaux, et diamants; Son épousé la faisait dame. Son ami pour la faire femme Prend heure avec elle au matin. Ils devaient aller au jardin, Dans un bois propre à telle affaire. Une compagne y devait faire Le guet autour de nos amants, Compagne instruite du mystère. La belle s'y rend la première, Sous le prétexte d'aller faire Un bouquet, dit-elle à ses gens. Nicaise après quelques moments La va trouver: et le bon sire Voyant le lieu se met à dire: Qu'il fait ici d'humidité ! Foin, votre habit sera gâté. Il est beau: ce serait dommage. Souffrez sans tarder davantage Que j'aille quérir un tapis. Eh mon Dieu laissons les habits; Dit la belle toute piquée. Je dirai que je suis tombée. Pour la perte, n'y songez point: Quand on a temps si fort à point Il en faut user; et périssent Tous les vêtements du pays; Que plutôt tous les beaux habits Soient gâtés, et qu'ils se salissent Que d'aller ainsi consumer Un quart d'heure: un quart d'heure est cher Tandis que tous les gens agissent Pour ma noce, il ne tient qu'à vous D'employer des moments si doux. Ce que je dis ne me sied guère: Mais je vous chéris; et vous veux Rendre honnête homme si je peux En vérité, dit l'amoureux Conserver étoffe si chère Ne sera point mal fait à nous. Je cours; c'est fait; je suis à vous; Deux minutes feront l'affaire. Là-dessus il part sans laisser Le temps de lui rien répliquer. Sa sottise guérit la dame: Un tel dédain lui vint en l'âme, Qu'elle reprit dès ce moment Son coeur que trop indignement Elle avait place: quelle honte ! Prince des sots, dit-elle en soi, Va, je n'ai nul regret de roi: Tout autre eût été mieux mon compte. Mon bon ange a considéré Que tu n'avais pas mérité Une faveur si précieuse. Je ne veux plus être amoureuse Que de mon mari, j'en fais voeu. Et de peur qu'un reste de feu A le trahir ne me rengage, Je vais sans tarder davantage Lui porter un bien qu'il aurait, Quand Nicaise en son lieu serait. A ces mots, la pauvre épousée Sort du bois, fort scandalisée. L'autre revient, et son tapis: Mais ce n'est plus comme jadis. Amants, la bonne heure ne sonne A toutes les heures du jour. J'ai lu dans l'Alphabet d'Amour, Qu'un galant près d'une personne N'a toujours le temps comme il veut: Qu'il le prenne donc comme il peut. Tous délais y font du dommage: Nicaise en est un témoignage. Fort essoufflé d'avoir couru, Et joyeux de telle prouesse, Il s'en revient bien résolu D'employer tapis et maîtresse. Mais quoi, la dame au bel habit Mordant ses lèvres de dépit Retournait voir la compagnie; Et de sa flamme bien guérie, Possible allait dans ce moment, Pour se venger de son amant, Porter à son mari la chose Qui lui causait ce dépit-là. Quelle chose ? c'est celle-là Que fille dit toujours qu'elle a. Je te crois, mais d'en mettre jà Mon doigt au feu, ma foi je n'ose: Ce que je sais, c est qu'en tel cas Fille qui ment ne pêche pas Grâce à Nicaise notre belle Ayant sa fleur en dépit d'elle S'en retournait tout en grondant: Quand Nicaise, la rencontrant A quoi tient, dit-il à la dame, Que vous ne m'ayez attendu ? Sur ce tapis bien étendu Vous seriez en peu d'heure femme. Retournons donc sans consulter: Venez cesser d'être pucelle; Puisque je puis sans rien gâter Vous témoigner quel est mon zèle Non pas cela, reprit la belle Mon pucelage dit qu'il faut Remettre l'affaire à tantôt. J'aime votre santé, Nicaise; Et vous conseille auparavant De reprendre un peu votre vent. Or respirez tout à votre aise. Vous êtes apprenti marchand; Faites-vous apprenti galant: Vous n'y serez pas si tôt maître A mon égard, je ne puis être Votre maîtresse en ce métier. Sire Nicaise, il vous faut prendre Quelque servante du quartier Vous savez des étoffes vendre, Et leur prix en perfection; Mais ce que vaut l'occasion, Vous l'ignorez, allez l'apprendre. |
Contes et nouvelles en vers par Monsieur de La Fontaine A Amsterdam chez Pierre Brunel, sur le Dam à la bible d'or, 1709 |
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