Jean de Lafontaine | Ma Homepage
... | Les gens du pays des fables Donnent ordinairement Noms et titres agréables Assez libéralement. Cela ne leur coûte guère. Tout leur est nymphe ou bergère Et déesse bien souvent. Horace ny faisait faute. Si la servante de lhôte Au lit de notre homme allait Cétait aussitôt Ilie Cétait la nymphe Egérie, Cétait tout ce qu'on voulait. Dieu, par sa bonté profonde, Un beau jour mit dans le monde Apollon son serviteur; Et l'y mit justement comme Adam le nomenclateur, Lui disant: Te voilà, nomme. Suivant cette antique loi Nous sommes parrains du Roi. De ce privilège insigne, Moi faiseur de vers indigne Je pourrais user aussi Dans les contes que voici; Et s'il me plaisait de dire, Au lieu d'Anne Sylvanire, Et pour messire Thomas Le grand druide Adamas, Me mettrait-on à l'amende ? Non: mais tout considère, Le présent conte demande Qu'on dise Anne et le curé. Anne, puisqu'ainsi va, passait dans son village Pour la perle et la parangon. Etant un jour près d'un rivage, Elle vit un jeune garçon Se baigner nu. La fillette était drue, Honnête toutefois. L'objet plut à sa vue. Nuls défauts ne pouvaient être au gars reprochés: Puis dès auparavant aimé de la bergère, Quand il en aurait eu l'Amour les eût cachés; Jamais tailleur n'en sut mieux que lui la manière. Anne ne craignait rien; des saules la couvraient Comme eût fait une jalousie: Ca et là ses regards en liberté couraient Où les portait leur fantaisie, Ca et là, cest-à-dire aux différents attraits Du garçon au corps jeune et frais, Blanc, poli, bien formé, de taille haute et drète, Digne enfin des regards d'Annette. D'abord une honte secrète La fit quatre pas reculer, L'amour huit autres avancer: Le scrupule survint, et pensa tout gâter. Anne avait bonne conscience: Mais comment s'abstenir ? est-il quelque défense Qui l'emporte sur le désir Quand le hasard fait naître un sujet de plaisir ? La belle à celui-ci fit quelque résistance. A la fin ne comprenant pas Comme on peut pêcher de cent pas, Elle s'assit sur l'herbe; et très fort attentive Annette la contemplative Regarda de son mieux. Quelqu'un n'a-t-il point vu Comme on dessine sur nature ? On vous campe une creature, Une Eve, ou quelque Adam, j'entends un objet nu ; Puis force gens assis comme notre bergère Font un crayon conforme à cet original. Au fond de sa mémoire Anne en sut fort bien faire Un qui ne ressemblait pas mal. Elle y serait encor si Guillot (c'est le sire) Ne fût sorti de l'eau. La belle se retire A propos; l'ennemi nétait plus qu'à vingt pas, Plus fort quà l'ordinaire, et c'eût été grand cas Quaprès de semblables idées Amour en fut demeuré là: IL comptait pour siennes déjà Les faveurs qu'Anne avait gardées. Qui ne s'y fût trompé ? plus je songe à cela, Moins je le puis comprendre. Anne la scrupuleuse N'osa quoi qu'il en soit le garçon régaler; Ne laissant pas pourtant de récapituler Les points qui la rendaient encor toute honteuse. Pâques vint, et ce fut un nouvel embarras. Anne faisant passer ses pêchés en revue, Comme un passe-volant mit en un coin ce cas; Mais la chose fut aperçue. Le curé messire Thomas Sut relever le fait; et comme l'on peut croire En confesseur exact il fit conter l'histoire, Et circonstancier le tout fort amplement, Pour en connaître limportance, Puis faire aucunement cadrer la pénitence, Chose où ne doit errer un confesseur prudent. Celui-ci malmena la belle Etre dans ses regards à tel point sensuelle ! C'est, dit-il, un très grand pêché. utant vaut l'avoir vu que de l'avoir touche. Cependant la peine imposée Fut à souffrir assez aisée. Je n en parlerai point; seulement on saura Que Messieurs les curés, en tous ces cantons-là, Ainsi qu'au nôtre avaient des dévots et dévotes, Qui pour l'examen de leurs fautes Leur payaient un tribut; qui plus qui moins selon Que le compte à rendre était long. Du tribut de cet an Anne étant soucieuse, Arrive que Guillot pèche un brochet fort grand: Tout aussitôt le jeune amant Le donne a sa maîtresse; elle toute joyeuse Le va porter du même pas Au curé messire Thomas. Il reçoit le présent, il l'admire, et le drôle D'un petit coup sur lépaule La fillette régala, Lui sourit, lui dit: Voilà Mon fait, joignant à cela D'autres petites affaires: Cétait jour de Calende, et nombre de confrères Devaient dîner chez lui. Voulez-vous doublement M'obliger ? dit-il à la belle; Accommodez chez vous ce poisson promptement. Puis l'apportez incontinent, Ma servante est un peu nouvelle. Anne court; et voilà les prêtres arrivés. Grand bruit, grande cohue, en cave on se transporte. Aucuns des vins sont approuvés: Chacun en raisonne à sa sorte. On met sur table; et le doyen Prend place en saluant toute la compagnie. Raconter leurs propos serait chose infinie; Puis le lecteur s'en doute bien. On permuta cent fois sans permuter pas une. Santés, Dieu sait combien: chacun a sa chacune But en faisant de lil; nul scandale: on servit Potage, menus mets, et même jusqu'au fruit Sans que le brochet vînt; tout le dîner sachève Sans brochet pas un brin. Guillot sachant ce don Lavait fait rétracter pour plus d'une raison. Légère de brochet la troupe enfin se lève. Qui fut bien étonné, qu'on le juge: il alla Dire ceci, dire cela A Madame Anne le jour même L'appela cent fois sotte, et dans sa rage extrême Lui pensa reprocher laventure du bain. Traiter votre cure, dit-il, comme un coquin ! Pour qui nous prenez-vous ? pasteur sont-ce canailles ? Alors par droit de représailles Anne dit au prêtre outragé: Autant vaut lavoir vu que de l'avoir mangé. |
Contes et nouvelles en vers par Monsieur de La Fontaine A Amsterdam chez Pierre Brunel, sur le Dam à la bible d'or, 1709 |
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