Jean de Lafontaine | Ma Homepage
J'avais juré de ne plus raconter de frivolités. |
O combien l'homme est inconstant, divers, Faible, léger, tenant mal sa parole ! J'avais juré hautement en mes vers De renoncer à tout conte frivole. Et quand juré ? c'est ce qui me confond, Depuis deux jours j'ai fait cette promesse Puis fiez-vous à rimeur qui répond D'un seul moment. Dieu ne fit la sagesse Pour les cerveaux qui hantent les neuf Soeurs; Trop bien ont-ils quelque art qui vous peut plaire, Quelque jargon plein d'assez de douceurs; Mais dêtre sûrs, ce n'est là leur affaire. Si me faut-il trouver, n'en fût-il point, Tempérament pour accorder ce point, Et supposé que quant à la matière J'eusse failli, du moins pourrais-je pas Le réparer par la forme en tout cas ? |
Un jouvenceau voit une fillette dans les bois. Il lui propose de la fricoter, mais elle refuse. |
Voyons ceci. Vous saurez que naguère Dans la Touraine un jeune bachelier, (Interprétez ce mot à votre guise, L'usage en fut autrefois familier Pour dire ceux qui n'ont la barbe grise, Ores ce sont suppôts de sainte église) Le nôtre soit sans plus un jouvenceau Qui dans les près, sur le bord d'un ruisseau, Vous cajolait la jeune bachelette Aux blanches dents, aux pieds nus, au corps gent, Pendant qu'Io portant une clochette, Aux environs allait l'herbe mangeant; Notre galant vous lorgne une fillette, De celles-là que je viens d'exprimer: Le malheur fut qu'elle était trop jeunette, Et dâge encore incapable d'aimer. Non qu'à treize ans on y soit inhabile; Même les lois ont avancé ce temps 8: Les lois songeaient aux personnes de ville, Bien que l'amour semble né pour les champs. Le bachelier déploya sa science: Ce fut en vain; le peu dexpérience, L'humeur farouche, ou bien l'aversion, Ou tous les trois, firent que la bergère, Pour qui l'amour était langue étrangère, Répondit mal à tant de passion. |
L'amant détourne une des vaches gardées par la fillette et l'entraîne dans les bois. |
Que fit l'amant ? croyant tout artifice Libre en amours, sur le rez de la nuit Le compagnon détourne une génisse De ce bétail par la fille conduit ; Le demeurant , non compté par la belle, (Jeunesse n'a les soins qui sont requis) Prit aussitôt le chemin du logis; Sa mère étant moins oublieuse quelle Vit qu'il manquait une pièce au troupeau: Dieu sait la vie; elle tance Isabeau Vous la renvoie, et la jeune pucelle S'en va pleurant, et demande aux échos Si pas un d'eux ne sait nulle nouvelle De celle-là dont le drôle à propos Avait d'abord étoupé la clochette; Puis il la prit, et la faisant sonner Il se fit suivre, et tant que la fillette Au fond d'un bois se laissa détourner. Jugez, lecteur, quelle fut sa surprise Quand elle ouït la voix de son amant. Belle, dit-il, toute chose est permise Pour se tirer de l'amoureux tourment; A ce discours, la fille toute en transe Remplit de cris ces lieux peu fréquentés; Nul naccourut. O belles évitez Le fond des bois et leur vaste silence. |
Contes et nouvelles en vers par Monsieur de La Fontaine A Amsterdam chez Pierre Brunel, sur le Dam à la bible d'or, 1709 |
|
|