Jean de Lafontaine | Ma Homepage
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Les gens sont des brebis |
L'exemple sert, l'exemple nuit aussi: Lequel des deux doit l'emporter ici, Ce n'est mon fait; l'un dira que l'Abbesse En usa bien, l'autre au contraire mal, Selon les gens: bien ou mal je ne laisse D'avoir mon compte, et montre en général, Par ce que fit tout un troupeau de Nones, Que Brebis sont la plupart des personnes; Qu'il en passe une, il en passera cent, Tant sur les gens est l'exemple puissant. |
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Le monde n'est qu'une franche moutonnaille. | Je le répète, et dis, vaille que vaille, Le monde n'est que franche moutonnaille. Du premier coup ne croyez que l'on aille A ses périls le passage sonder; On est longtemps a s'entre-regarder; Les plus hardis ont-ils tenté l'affaire, Le reste suit, et fait ce quil voit faire. Qu'un seul mouton se jette en la rivière, Vous ne verrez nulle âme moutonnière Rester au bord, tous se noieront à tas. Maître François en conte un plaisant cas. Ami lecteur, ne te déplaira pas, Si sursoyant ma principale histoire Je te remets cette chose en mémoire. Panurge allait loracle consulter. Il naviguait, ayant dans la cervelle, Je ne sais quoi qui vint linquiéter. Dindenaut passe; et médaille l'appelle De vrai cocu. Dindenaut dans sa nef Menait moutons. Vendez-m'en un, dit l'autre. Voire, reprit Dindenaut, l'ami notre, Penseriez-vous qu'on put venir à chef D'assez priser ni vendre telle aumaille ? Panurge dit: Notre ami, coûte et vaille, Vendez-m'en un pour or ou pour argent. Un fut vendu. Panurge incontinent Le jette en mer; et les autres de suivre. Au diable l'un , à ce que dit le livre, Qui demeura. Dindenaut au collet Prend un bélier, et le bélier lentraîne. Adieu mon homme: il va boire au godet. Or revenons: ce prologue me mène Un peu bien loin. J'ai posé dès l'abord Que tout exemple est de force très grande: Et ne me suis écarté par trop fort En rapportant la moutonnière bande Car notre histoire est d'ouailles encor. Agnès passa, puis une
autre Soeur, et puis une: |
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Une abbesse est malade. Elle va mourir si on ne lui donne un amant. |
Certaine abbesse un certain mal avait Pâles couleurs nommé parmi les filles: Mal dangereux, et qui des plus gentilles Détruit léclat, fait languir les attraits. Notre malade avait la face blême Tout justement comme un saint de careme, Bonne d'ailleurs, et gente à cela près. La Faculté sur ce point consultée, Après avoir la chose examinée, Dit que bientôt Madame tomberait En fièvre lente, et puis qu'elle mourrait. Force sera que cette humeur la mange; A moins que de. .. la moins est bien étrange A moins enfin qu'elle n'ait à souhait Compagnie d'homme. Hippocrate n'a pas Choisi ses mots, ni ne les arrangea. Jésus, reprit toute scandalisée Madame Abbesse: hé que dites-vous là ? Fi. Nous disons, repartit à cela La Faculté, que pour chose assurée Vous en mourrez, à moins d'un bon galant Bon le faut-il, c'est un point important: Autre que bon n'est ici suffisant Et si bon n'est deux en prendrez Madame. Ce fut bien pis; non pas que dans son âme Ce bon ne fût par elle souhaité Mais le moyen que sa communauté Lui vît sans peine approuver telle chose ? Honte souvent est de dommage cause. |
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Soeur Agnès se propose d'essayer un galant pour encourager l'Abbesse. |
Sur Agnès dit : Madame croyez-les. Un tel remède est chose bien mauvaise, S'il a le goût méchant à beaucoup près Comme la mort. Vous faites cent secrets Faut-il qu'un seul vous choque et vous déplaise ? Vous en parlez, Agnès, bien à votre aise, Reprit l'abbesse: or ,ca, par votre Dieu, Le feriez-vous ? mettez-vous en mon lieu. Oui da, Madame; et dis bien davantage: Votre santé m'est chère jusque-là Que sil fallait pour vous souffrir cela, Je ne voudrais que dans ce témoignage D'affection pas une de céans Me devançât. Mille remerciements A Sur Agnès donnés par son abbesse La Faculté dit adieu là-dessus Et protesta de ne revenir plus. Tout le couvent se trouvait en tristesse, Quand sur Agnès qui nétait de ce lieu La moins sensée, au reste bonne lame, Dit a ses surs: Tout ce qui tient Madame Est seulement belle honte de Dieu. Par charité n'en est-il point quelqu'une Pour lui montrer l'exemple et le chemin ? Cet avis fut approuvé de chacune: On l'applaudit, il court de main en main. Pas une nest qui montre en ce dessein De la froideur, soit nonne, soit nonnette, Mère prieure, ancienne, ou discrète, |
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On fait courrir le mot et de nombreux galants se présentent. D'autres soeurs la suivent. |
Le billet trotte: on fait venir des gens De toute guise, et des noirs, et des blancs, Et des tannés L'escadron, dit l'histoire, Ne fut petit, ni comme l'on peut croire Lent à montrer de sa part le chemin. Ils ne cédaient à pas une nonnain Dans le désir de faire que Madame Ne fut honteuse, ou bien n'eût dans son âme Tel récipé possible à contrecur De ses brebis à peine la première A fait le saut, qu'il suit une autre sur. Une troisième entre dans la carrière. Nulle ne veut demeurer en arrière. Presse se met pour nêtre la dernière |
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Finalement l'Abbesse se décide et un jouvenceau lui fait son affaire. . |
Que dirais-je de plus? enfin limpression Qu'avait l'abbesse encontre ce remède, Sage rendue à tant d'exemples cède. Un jouvenceau fait lopération Sur la malade. Elle redevient rose, illet, aurore, et si quelque autre chose De plus riant se peut imaginer. Ô doux remède, ô remède à donner, Remède ami de mainte créature, Ami des gens, ami de la nature, Ami de tout, point d'honneur excepté. Point d'honneur est une autre maladie - Dans ses écrits Madame Faculté N'en parle point. Que de maux en la vie ! |
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Contes et nouvelles en vers par Monsieur de La Fontaine A Amsterdam chez Pierre Brunel, sur le Dam à la bible d'or, 1709 |
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