Jean de Lafontaine | Ma Homepage
Impossible de garder les filles vierges aujourd'hui |
POUR garder certaine Toison, On a beau faire sentinelle ; Cest temps perdu, lorsque quune Belle Y sent grande démangeaison : Un adroit et charmant Jason Avec laide de la Donzelle, Et de Maître expert Cupidon Trompe facilement & Taureaux & Dragon. La contrainte est lécueil à la pudeur des Filles. Les Surveillants, les verroux & les grilles Sont une faible digue à leur tempérament. A douze ans aujourdhui point dAgnes ; à cet âge Fillette nuit & jour sapplique uniquement A trouver les moyens dendormir finement Les Argus de son pucelage. Larmes de Crocodile, yeux lascifs, doux langage, Soupirs, sourires flatteurs, tout est mis en usage, Quand il sagit dattraper un Amant. Je nen dirai pas davantage, Lecteur, regardez seulement, La finette Cataut jouer son personnage Et comment elle met le Rossignol en cage ; Après je m'en rapporte à votre jugement.
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Catherine (Cataut), quatorze ans, était amoureuse d'un homme mais la mère l'empèchait de consommer son amour. |
Dans une ville d'Italie, Dont je n'ai jamais su le nom, Etait une fille fort jolie, Son père était Messire Varambon : Boccace ne dit pas comment on nommait la mère; Aussi cela n'est pas trop utile à savoir; La fille s'appelait Catherine; et pour plaire Elle avait amplement de tout ce qu'il faut avoir; Age de quatorze ans, teint de lis et de rose Beaux yeux, belle gorge et beaux bras, Grands préjugés pour les secrets appas. Le lecteur pense bien qu'avec toutes ces choses, Fillette manque rarement D'un Amant. Aussi n'en manqua [pas] la pucelle; |
Les amants devisent un stratagème pour se voir seuls |
Un jour par un bonheur extrème Ils se trouvèrent seuls sans mère et sans jaloux; Que me sert, dit Richard, hélas, que je vous aime? Que me sert d'être aimé de vous? Cela ne fait qu'augmenter mon martyr; Je vous vois, sans vous voir; je ne puis vous parler; Si je me plains, si je soupire; Il me faut tout dissimuler. Ne saurait-on enfin vous voir sans votre mère? Ne sauriez-vous pas trouver quelque moyen? Helas ! Vous le pouvez, si vous le voulez bien: Mais vous ne m'aimez pas. Si j'étais moins sincère, Dit Catherine à son amant, je vous parlerais autrement: Mais le temps nous est cher ; voyons ce qu'il faut faire. Il faudrait donc, dit Richard, Si vous avez [pour] dessein de me sauver la vie, Vous faire mettre une chambre à part, Par exemple, à la galerie; On pourrait vous y aller voir, Sur le soir; Alors que chacun se retire : Autrement on ne peut vous parler qu'à demi; Et j'ai cent choses à vous dire, Que je ne puis vous dire ici. Ce mot fit la belle sourire; Elle se douta bien de ce qu'on lui dirait; Elle promit pourtant au sire De faire ce qu'elle pourrait. La chose n'était pas facile : Mais l'amour donne de l'esprit; Et fait faire une Agnès habile; Voici donc comment elle s'y prit. |
Catherine fait du bruit pendant la nuit, et demande à ses parents de lui faire tendre un lit sur la gallerie. |
Elle ne dormit point durant toute la nuit, Ne fit que s'agiter, et mena tant de bruit, Que ni son père ni sa mère Ne purent fermer la paupière Un seul moment. Ce n'était pas grande merveille : Fille qui pense à son amant absent, Toute la nuit, dit-on, a la puce à l'oreille, Et ne dort que fort rarement. Dès le matin Cataut se plaignit à sa mère Des puces de la nuit, du grand chaud qu'il faisait ; On ne peut point dormir, Maman, s'il vous plaisait De me faire tendre un lit dans cette galerie; Il y fait bien plus frais, et puis dès le matin, Du rossignol, qui vient chanter sous ce feuillage, J'entendrais le ramage. La bonne mère y consentit, Va trouver son homme, et lui dit, Cataut veut changer de lit, Afin d'être au frais et d'entendre Le Rossignol. Ah ! Qu'est ceci ? Dit le bon homme, et quelle raillerie ? Allez, vous êtes folle, et vôtre fille aussi, Avec son Rossignol; qu'elle se tienne ici; Il fera cette nuit ci Plus frais que la nuit passée; Et puis elle n'est pas, je crois, Plus délicate que moi; J'y couche bien. Cataut se tint fort offensée De ce refus, et la seconde nuit Fit cinquante fois plus de bruit, Qu'elle n'avait fait la première, Pleura, gémit, se dépita, Et dans son lit se tourmenta, D'une si terrible manière, Que la mère s'en affligea, Et dit à son mari, vous êtes bien maussade, Et n'aimez guère votre enfant; Vous vous jouez assurément A la faire tomber malade: Je la trouve déjà tout je ne sais comment; Répondez-moi, quelle bizarrerie De ne pas la coucher dans cette galerie ? Elle est tout aussi près de nous. A la bonne heure, dit l'époux, Je ne saurais tenir contre femme qui crie; Vous me feriez devenir fou; Passez-en vôtre fantaisie; Et qu'elle entende [de] tout son saoûl Le Rossignol et la Fauvette. |
Le lit est installé et l'amant entre pendant la nuit. |
Sans délai la chose fut faite. Catherine à son père obéit promptement, Se fait dresser un lit, fait signe à son amant Pour le soir. Qui voudra savoir maintenant Combien dura pour eux cette journée, Chaque moment une heure, et chaque heure une année, C'est tout le moins : mais la nuit vint ; Et Richard fit si bien à l'aide d'une échelle, Qu'un fripon de valet lui tint, Qu'il parvint au lit de la Belle. De dire ce qu'il s'y passa, Combien de fois on s'embrassa, En combien de façons l'Amant et la Maîtresse Se témoignèrent leur tendresse, Ce serait temps perdu; les plus doctes discours Ne sauraient jamais faire entendre Le plaisir des tendres amours; Il faut l'avoir goûté pour pouvoir le comprendre. Le Rossignol chanta pendant toute la nuit; Et, quoiqu'il ne fit pas grand bruit, Catherine en fut fort contente. Celui, qui chante aux bois son amoureux souci, Ne lui parut qu'un âne auprès de celui-ci : Mais le malheur voulut que l'amant et l'amante Trop faibles de moitié pour leur ardents désirs, Et lassé par leurs doux plaisirs, S'endormirent tous deux sur le point que l'Aurore Commencait à s'apercevoir. Le père, en se levant, fut curieux de voir Si sa fille dormait encore. Voyons un peu, dit-il, quel effet ont produit Le chant du Rossignol, le changement de lit. Il entre dans la galerie, Et s'étant approché sans bruit, Il trouva sa fille endormie. |
Le père surprend sa fille et son amant au petit matin |
A cause de la grande chaleur nos deux amants Dormaient sans draps ni couvertures, En état de pure nature. Exactement comme on peint nos deux premiers parents, Excepté qu'au lieu de la pomme, Catherine avait dans sa main Ce qui servit au premier homme A conserver le genre humain. Ce que vous ne sauriez prononcer sans scrupule, Belles, qui vous piquez de sentiments si fiers, Et dont vous vous servez pourtant très volontiers, Si l'on en croit le bon Catulle. |
Le bon homme à ses yeux à peine ajoute foi, Mais, renfermant le chagrin dans son âme, Il rentre dans sa chambre, et réveille sa femme. Levez-vous, lui dit-il, et venez avec moi. Je ne m'étonne plus pourquoi Cataut vous témoignait si grand désir d'entendre Le Rossignol, vraiment, ce n'était pas en vain : Elle avait dessein de le prendre, Et l'a si bien guetté qu'elle l'a dans sa main. La mère se leva, pleurant presque de joie, Un rossignol, vraiment, il faut que je le voie. Est-il grand ? Chante-il ? Faira-t-il des petits ? Hélas ! La pauvre enfant, commen l'a-t-elle pris ? Vous allez le voir, reprit le père, Mais surtout, songez à vous taire. Si l'oiseau vous autant, c'est tout ca de perdu : Vous gâterez tout le mystère. Qui fut surpris ? Ce fut la mère, Aussitôt qu'elle eut aperçu Le Rossignol que tenait Catherine. Elle voulut crier, et l'appeler catine, Chienne, effrontée, enfin, tout ce qu'il vous plaira. Peut-être faire pire, mais l'époux l'en empêcha. Ce n'est pas de vos cris que nous avons à faire, Le mal est fait, dit-il, et quand on pestera, Ni plus ni moins il n'en fera. |
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Le père trouve un moyen de réparer le mal déjà consommé. |
Savez-vous donc ce qu'il faut faire ? Il faut réparer le mieux que l'on pourra. Qu'on aille me quérir le Notaire, Et le Prêtre et le Commissaire, Avec leur aide tout s'arrangera. Pendant tous ces discours, notre amant s'éveilla, Et, voyant le soleil, hélas, dit-il, ma Chère, Le jour nous a surpris, je ne sais comment faire Pour m'en aller. Tout ira bien, Lui répondit alors le père. Voyez, Sire Richard, il ne me sert plus à rien De me plaindre de vous, de me mettre en colère. Vous m'avez fait outrage, il ne reste qu'un seul moyen Pour m'apaiser, et pour me satisfaire. Il vous faut ici, sans délai ni refus, Sinon dites vôtre In manus, Epouser Catherine ; elle est bien demoiselle. Si Dieu ne l'a pas faite aussi riche que vous, Au moins elle est jeune, et vous la trouvez belle. S'exposer à souffrir une mort très cruelle, Et cela seulement pour avoir refusé De prendre pour femme une fille qu'on aime, Ce serait, à mon sens, être mal avisé. Aussi dans ce péril extrême, Richard fut habile homme, et n'hésita pas Entre la fille et le trépas. Sa maîtresse avait des appas; Il venait de goûter la nuit entre ses bras Le plus doux plaisir de la vie; Il n'avait pas apparamment envie D'en partir aussi brusquement. Et pendant que notre amant Songe à se faire époux pour se tirer d'affaire, Cataut se réveillant à la voix de son père, Lâcha le Rossignol dessus sa bonne foi, Et, tirant doucement le bout du drap sur soi, Cacha les trois quarts de ses charmes. Le notaire arrivé mit fin
à leurs alarmes, |
Contes et nouvelles en vers par Monsieur de La Fontaine |
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Cette contine a été illustrée au cinéma dans le film de Pier Paolo Pasolini Le Décaméron, d'une manière moins élégante qu'ici à mon avis. |